La minute psy

Négation d’abandon.

Abandon et négation.

« Et tu vis mon impuissance à t’approcher comme un abandon. »

Oui, et non.

Oui, je me sens abandonnée.

Non, je me sens surtout niée dans mon besoin d’être maternée par celle dont c’est le rôle.

Mon abandon, c’est la négation de mon besoin d’être couvée, éduquée, prise en charge. C’est la négation de mon statut d’être qui en a besoin et qui en a le droit. Mon abandon, c’est encore me dénaturer.

Pas vu, pas pris

Je lisais cette semaine un très intéressant article dans une revue scientifique de pointe : Elle.

Il y avait une interview d’E.Baer. Au-delà du gout pour l’artiste et de ce qu’on peut penser de lui, il parlait de son inspiration et de son état d’esprit. De mémoire, il disait qu’il était anxieux de nature et qu’il avait cessé de combattre cette angoisse parce qu’elle lui servait de moteur créatif. Le déséquilibre induit par cette angoisse sourde et quasi-permanente est devenu son fond de commerce, ce qui nourrit ses idées et, en définitive, fait manger sa famille.

Je suppose que vivre de son oeuvre, de ce qui nous plait de faire, est une forme de bonheur… L’angoisse, quant à elle, me semble être une forme de malheur ou, en tout cas, d’inconfort.

Ce qui implique donc que dans le cas d’E. Baer, l’inconfort est la condition d’existence d’une forme de bonheur.

Encore un chat de Schroedinger…

Pour fréquenter quelques artistes, je pense que le cas de notre ami Edouard n’est pas isolé : il est vrai que les gens heureux n’ont pas d’histoire et que les artistes/créatifs ont souvent des tas d’histoires en eux. Ils les expriment, les photographient, les inventent, les batissent, les peignent, composent, cuisinent, ameublent au gré de leurs angoisses et de leurs interrogations.

EDIT : En publiant, je me dis que le titre n’a rien à voir avec le reste…et effectivement, je parlerai un autre jour de pas vu, pas pris.

Petite conne (3)

Il pleurait. Jamais je ne l’avais vu dans cet état. Même à la mort de Mamy, même à son départ à la retraite, même à l’annonce puis la naissance de son premier petit-enfant.

Jamais je ne l’avais vu craquer, mon héros. Il avait toujours été fort, droit, dur au mal. Sensible, cependant, je le savais très bien. Il a cette intelligence du coeur qui lui permet de rester sensible, affectueux, sans jamais donner l’impression d’être ému. Et j’y ai cru. J’ai longtemps cru qu’il était ce roc, cet ilôt dans la tempête, à laquelle la famille pouvait se raccrocher. J’y croyais encore, il y a 3 minutes.La famille, parlons-en tiens, c’est un drôle de mot pour cet ensemble de gens qui se reconnaissent, dont certains sont issus les uns des autres, d’autres se sont choisis. Et voilà, on mélange le tout, on secoue, on enfante, on se marie et…la famille. Ma famille. Ma mère, réservée, plus froide. Mon père, au charbon mais accessible, un antithétisme à lui tout seul.

Et puis … il a pleuré et a prononcé ces deux mots : petite conne.

Et moi, comme une petite conne, j’ai pleuré avec lui.

Petite conne (2)

Ca ne me faisait même plus mal…mais pas encore rire. Il existe un moment, ai-je remarqué, où ce qui ne vous fait plus mal peut vous faire rire. Comme un exemple vivant du fumeux proverbe : ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. J’ai eu plein d’exemples de cette physique psychique : le 5ème zéro en math, la 8ème rupture de mon amour d’adolescence, la 12 ème lettre de refus de ma candidature au poste, malgré un profil ô combien intéressant. Il y a aussi la 6ème merde de la journée, qui a commencée par une douche froide et le pied dans un caca frais, avec des chaussures ouvertes. Tout ça, au bout d’un moment, ça m’a fait rire. Rire de dépit, rire jaune, rire pour ne pas pleurer, rire d’abandon, mais rire quand-même.

Je suis presqu’étonnée que ces trois mots ne me fassent pas encore rire. Après tout, ce n’était pas la première fois que je les entends, qu’ils aient été vitupérés ou sussurés. Il a l’habitude de prononcer pire, d’ailleurs. Peut-être est-ce ça. Peut-être que je suis déçue de si peu de verve dans sa colère? Il faut dire qu’il a déjà été plus inventifs que ça, mon père. Petite conne, c’est un peu court, vieil homme. Peut-être que je m’y attendais aussi :  le côté soudain, la rupture de rythme constitue un ressort comique duquel je suis assez friande. Peut-être aussi qu’il a raison, de temps en temps. Je suis peut-être une petite conne, comme il l’a dit. Le problème quand les injures pleuvent aussi souvent, c’est qu’on ne distingue plus très bien la pertinence de l’habitude malsaine.

Enfin voilà, le constat est fait : je ne ris pas. Je ne me fâche pas non plus. J’ai dépassé ce stade-là aussi. Il crie, il gueule, il injurie, mon père. Il est comme ça, dirais ma mère. Je pense surtout qu’il n’est que ça. Ces 3 petites lettres me sauvent de tout.

Petite conne (1)

Ces 3 mots tombèrent, comme des couperets. Cinglant aussi fort qu’ils étaient prononcés à voix douce. Destructeurs de mépris, remplis de déception. Des poignards littéraires. Déchirants ma tête à chaque syllabe, le tout pesant plus lourd que les ensembles dont il est composé.

C’était fait, il l’avait dit, je l’avais entendu. Nous n’avions jamais franchi cette ligne-là, auparavant. Il avait dû le penser, probablement, de temps en temps… Je n’étais pas différente des autres, j’avais du susciter parfois un agacement, une colère telle qu’il avait dû le penser. Je le savais au fond de moi, j’évitais bien soigneusement d’y penser, me drapant dans l’idée confortable que jamais je ne le décevrais. Qu’il est doux, le temps de l’enfance, le temps où être la princesse de papa est le centre de son monde, le but de sa vie… Qu’il est doux de prolonger cet état de grâce bien au-delà de l’âge légal et prescrit, de revenir dans le giron paternel, sous ce regard bienveillant. J’en ai profité de longs mois, des années peut-être. J’ai profité de cette faiblesse à mon égard, de ce laxisme que nous feignions de ne pas voir. C’était moi et lui, contre le reste du monde. Les autres étaient trop idiots, trop Autres pour comprendre. Il y avait Moi, et puis Lui. Et rien ni personne entre nous deux. J’étais éternellement une enfant en demande d’aide et de soutien, et lui éternellement mon sauveur.

Bien sûr, il râlait quelque fois, il tempêtait pour la forme, rechignait pour de rire… Mais nous savions, je savais, que ces manifestations étaient surtout destinées à la galerie, au vaudeville humain géant. Au fond, tout au fond, j’étais choyée, aimée, soutenue. J’étais une princesse, l’archétype de la jeune femme délicieuse, la petite fille que tous les papas rêvent d’avoir.

Et tout-à-coup, sans que je comprenne vraiment comment, en 1 seconde et demie, en 3 syllabes, tout s’est écroulé. Une page s’est tournée, j’ai été projetée dans ce monde adulte, hostile. Je l’avais bien soigneusement fuit depuis des années, j’en avais même oublié qu’il existait. Ou presque. Le voilà qui se catapultait dans ma réalité, me lançant à la figure la laideur de ses revirements. J’étais, en une fois, exposée, explosée, par la pointe d’amertume que j’ai entendue dans cette voix.

Plus encore que l’injure, c’est ce tout petit désaveu. Un trois fois rien de désapprobation. Une plume de déception. Et me voilà nue de mon enfance.

Hidden

Ma couverture, ma couche, mon doudou, ma pelure, ma carapace, mon gras, mon armure, mon costume de scène, mon rempart, ma cachette, mon trou, mon gouffre, mon labyrinthe, mon piège.

 

Contre quoi?

L’absence

« Ca fait quoi, de ne pas avoir de père ».

« Je ne sais pas, je n’en ai jamais eu ».

J’ai connu l’absence toute petite. Tellement bien que je n’ai pas connu la présence, préalable nécessaire à l’absence.

Pour qu’il y ait manque, il faut qu’il y ait eu quelque chose. Et ce manque, en lui-même, Est. C’est un trou dans l’espace, mais ça prend de l’espace.

L’absence d’absence donne le vertige.

De coeur, de sang

Le couple a-t-il une raison d’être sur la longue durée en dehors de la notion de famille?

Qu’est ce qu’une famille? Les dictionnaires tournent autours d’un lien entre des gens actualisé par des ancêtres communs, un nom, une filiation biologique, un patrimoine.

Bilan? Je porte, comme tout le monde, les gênes de deux « familles » donc des ancêtres communs. Avec les uns, j’ajoute le port d’un nom commun. Le patrimoine, d’un côté comme de l’autre, c’est nada.

Mais quid du fait de se sentir « de la famille de »? Quid du sentiment d’appartenance? Quid des rapports affectueux, sentimentaux quotidiens?

Ca, c’est le Grand Inconnu. Etre de la famille de, reconnaitre l’autre comme faisant partie de sa famille et ce avec plaisir, je ne sais pas ce que c’est.

D’où des difficultés à me lier, à penser le couple dans la durée, à penser la maternité. J’ai pas le mode d’emploi.
Ca s’achète où?

Temple solaire

L’amour, c’est cette douce folie qui nous lie à quelqu’un, ce sentiment fort qui fait que l’Autre est plus important. Ca emporte, ca renforce, ca fait souffrir aussi. Ca permet de passer les épreuves, ca donne l’envie de rester, parfois de faire des bébés.

Ca, c’est la littérature. Je la connais par coeur, je l’annone avec l’implication d’une nonne pendant les vêpres, j’y mets toute la conviction d’un président en campagne.

Mais dans ma vraie vie, l’amour, ca n’a aucun sens. C’est une chose que j’ai du mal à reconnaitre, à connaitre, à éprouver et à reconnaitre quand je l’éprouve. C’est une chose que j’ai du mal à cerner, à comprendre, à appréhender. C’est un danger qui pousse à se risquer. C’est une folie collective qui pousse le troupeau vers la falaise, le tout en devisant gaiement. C’est un gouter à l’arsenic où chaque participant ignore la dose qu’il ingère. Et moi, je vois le précipice arriver et je me demande s’ils sont tous dingues de s’y précipiter ainsi, le coeur léger. Je ne veux pas mourir, moi. Pas sans me battre, du moins. Je n’ai pas le pied léger, la conversation gazouillante de tous ces gens qui semblent tellement surs d’eux. Et je le vois disparaitre, quand ils arrivent au bord de la falaise. Ils tombent et s’évaporent. Certains arrivent en bas entier, d’autres volent, les derniers s’évanouissent. Beaucoup ont des plaies et des bosses mais… à peine remis, ils reprennent leur place dans le troupeau et avancent paisiblement vers la falaise, reprenant leurs gazouillis.

Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas sauter dans le vide, ne sachant pas si je vais arriver entière en bas. Je ne veux pas disparaitre, m’évaporer, m’annihiler. Je ne veux pas jouer au loto avec mon corps, mon bien-être, ma vie.

C’est une folie pure.
La roulette russe.
Un suicide collectif.

Apprendre à faire l’amour

Au propre comme au figuré.

Ailleurs, j’ai écrit : Quand on n’est pas persuadé que c’est l’amour, même furtif, qui a présidé à l’acte sexuel occasionnant notre existence, il est très difficile de croire à l’amour et à la valeur de sa propre existence.

J’avais raison.